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Pourquoi mange-t-on certains animaux et pas d’autres ? Question de culture, pas de nature
«Contrairement à une opinion très répandue de nos jours dans le public qui croit ou aimerait voir partout la Nature, les relations aux animaux sont éminemment culturelles, souligne Jean-Pierre Digard*. Chaque société investit en effet dans ses relations avec les animaux un ensemble particulier de techniques (élevage, dressage, utilisation, etc.), de représentations, de croyances relatives aux animaux, voire de sentiments envers eux (attachement, respect, compassion, mépris, répulsion, peur …).»
C’est cet ensemble qui constitue le «système domesticatoire» propre à telle ou telle société, à telle ou telle période de son histoire. Et il attire l’attention sur le fait que, «comme l’indique le mot système, les éléments qui le composent ne sont intelligibles que s’ils sont considérés ensemble ; isolés les uns des autres, ils apparaissent vides de sens.»
L’une des caractéristiques les plus visibles de notre système domesticatoire occidental moderne est la place qu’y occupent les animaux de compagnie, tant par leur nombre (plus de 45 millions en France, dont 8,4 millions de chats et 7,9 millions de chiens, répartis dans 52 % des foyers) que par leur statut, proche de celui des enfants. La faune « sauvage » occupe une position symétrique -parce que partageant la même « inutilité »- et inverse, parce qu’elle est considérée, à tort ou à raison, indemne de toute action humaine. Troisième catégorie, celle des animaux d’élevage dits de rente. Ces catégories ne sont pas totalement imperméables, comme le montre bien le cas du cheval : depuis la motorisation de l’agriculture dans les années 1950, la popularisation et la féminisation des sports équestres ont rapproché le statut culturel du cheval du statut des animaux de compagnie ; devenu proche de l’homme, il devient plus difficile voire impossible à penser en tant que nourriture.
Autre exemple proposé par Jean-Pierre Poulain**, celui de l’ours : ce n’est certes pas pour le manger qu’il a été réintroduit récemment dans les Pyrénées… Mais, sans les images du grand photographe Jean Dieuzaide, qui serait capable d’imaginer que, il y a moins de 50 ans à Toulouse, une boucherie du centre ville exposait dans sa vitrine un ours mort en fourrure « à la viande exquise » et dénommé Martin ?
* “Pourquoi mange-t-on certains animaux et pas d’autre” par Jean-Pierre Digard,
** “Penser et manger la chair” par Jean-Pierre Poulain,
in Les Cahiers de l’Ocha n°12 “L’homme, le mangeur, l’animal. Qui nourrit l’autre ?”