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Comportements alimentaires

Prix de l’IFN et Prix Trémolières, Jean-Pierre Poulain, et à travers lui les sciences humaines, à l’honneur

Publié le 18/07/2005

« Nous avons voulu privilégier les hommes par rapport aux molécules », a déclaré Jean-Paul Laplace, président de l’Institut Français de Nutrition (IFN), en annonçant la remise du Prix de l’IFN à Jean-Pierre Poulain.
Ce Prix, décerné depuis près de vingt-cinq ans, était attribué en 2002 pour la première fois à un représentant des sciences humaines.
Deux mois auparavant, Jean-Pierre Poulain avait déjà reçu le Prix Trémolières décerné par l’APRID (1).
Enseignant-chercheur à l’Université de Toulouse-Le Mirail, Jean-Pierre Poulain bénéficie d’une double formation : sociologie de l’alimentation (Thèse sur Anthropologie de la cuisine et des manières de table, sous la direction d’Edgar Morin) et ingénierie du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration. Il est l’ auteur de nombreux ouvrages dans ces deux domaines (2).
La remise de ces Prix a donné lieu à de passionnants débats sur les apports du dialogue interdisciplinaire et sur ses limites, notamment par rapport à la question d’actualité en santé publique : peut-on faire changer les comportements alimentaires et si oui, comment?
Des origines communes Sociologie de l’alimentation et épidémiologie ont une origine commune : les monographies ouvrières de la fin du XIXème siècle. Au XXème siècle, avant que naisse ce que l’on peut maintenant appeler une école française de la sociologie de l’alimentation (3), celle-ci était « représentée » avant la lettre par le Professeur Trémolières, père fondateur de la nutrition française et grand humaniste.
Par la suite, une toujours plus grande spécialisation des savoirs et des métiers aboutissait à deux disciplines distinctes en nutrition : l’épidémiologie, qui s’intéresse aux populations, avec la statistique comme outil de travail, et la clinique qui s’occupe de la santé des individus au sens de l’OMS (bien-être global, physique, psychologique et social).
Comment changer les comportements alimentaires ? La question a l’air simple, les réponses ne peuvent pas l’être.
Claude Fischler et Jean-Pierre Poulain ont rappelé que tout mangeur vient au monde dans une culture donnée où l’alimentation remplit bien d’autres fonctions que les simples fonctions biologiques et véhicule des systèmes de valeurs et de croyances très sophistiquées.
Dans une culture alimentaire, tout n’est pas objet de choix conscient et rationnel, les décisions vont « de soi ». Pourtant, les pratiques évoluent … Mais comment ?
Deux approches s’opposent et se complètent : l’approche culturaliste considère que les valeurs déterminent les normes qui déterminent les pratiques ; l’approche matérialiste considère que les contextes sociaux déterminent les pratiques dont sont issues les normes et les valeurs, qui ne seraient que des rationalisations a posteriori.
Les risques de trop de médicalisation La situation actuelle est souvent diagnostiquée comme une situation anomique (absence de normes) ou au moins d’érosion des modèles alimentaires. L’éducation apparaît comme une solution.
L’éducation à l’alimentation doit-elle privilégier la santé ? Les Etats-Unis le font depuis longtemps avec les contre-résultats que l’on connaît, en matière d’obésité notamment. Pour Jean-Pierre Poulain, les risques vont même au delà : les modèles alimentaires étant des patrimoines au sens de corps de connaissances qui se transmettent de génération en génération, c’est à un véritable « ethnocide social » que peut conduire la médicalisation des normes alimentaires associée à la judiciarisation de la société …

(1)-Association des Praticiens pour l’information en nutrition et diététique.

(2)-Pour ne citer que les plus récent Manger aujourd’hui : Ocha/Privat en 2001, Sociologies de l’alimentation aux PUF et, en collaboration avec Jean-Pierre Corbeau,Penser l’alimentation, Ocha/Privat en 2002. A paraître, Manger à l’hôpital chez Lanore. Pour l’ensemble des publications de J.P. Poulain, cliquez ici.

(3)-illustrée notamment en sociologie par Claude Fischler, Jean- Louis Lambert, Annie Hubert, Jean-Pierre Corbeau, Igor de Garine, ainsi que par le psychologue Matty Chiva et les historiens Jean-Paul Aron et Jean- Louis Flandrin, suivis par une génération de jeunes chercheurs.