Ouvrages
Sacrifices en Islam
Espaces et temps d’un rituel
Sacrifier, mettre à mort rituellement une victime animale, voilà qui s’inscrit au cœur de multiples pratiques des sociétés musulmanes, qu’elles soient transplantées en Europe, ou qu’on les observe parmi ce milliard d’individus qui, à travers le monde, de l’Afrique à l’Asie, suit la foi révélée par le Prophète Muhammad.
Égorger de ses ongles la victime animale au Maghreb, boire ou se baigner dans le sang de celle-ci dans les cultes zar soudanais, partager et cuisiner les chairs des bêtes égorgées au sein de la communauté, comme dans la Grèce ancienne, ou solliciter une protection. Que reste-t-il de l’islam dans ces formes quotidiennes du sacrifice ?
Encore faudrait-il, ou non, distinguer celui-ci de l’abattage rituel des animaux nécessaires à la consommation halâl des chairs, tout comme dans le cas des viandes juives casher. On peut mettre pourtant en évidence un modèle musulman du rituel sacrificiel, que reconstruit l’anthropologue à partir des rites établis dans la sunna, dans les gestes et dires du Prophète. Le sacrifice que se propose de faire Abraham de son fils, Isaac pour les juifs, Ismaël pour les musulmans, répond à des questions fondamentales : comment peut-on naître d’une femme ? Comment assumer le rôle de père et la soumission du musulman à Dieu ? Questions que pose aussi le sacrifice effectué pour la naissance d’un enfant.
Voilà la vision orthodoxe qui inspire le sacrifice du Pèlerinage à La Mekke, et celui effectué le même jour dans l’ensemble de la communauté musulmane à l’occasion de la fête de l’cayd al-kabîr. L’islam n’inscrit pas, contrairement au christianisme, le sacrifice au cœur de son dogme. Il lui accorde cependant une place essentielle dans ses pratiques rituelles : accompagnant toutes les étapes de la vie individuelle, producteur du lien social, lieu de multiples recompositions et transgressions, produisant de nouvelles références locales à l’universalité que celles qu’induit le modèle ibrâhîmien, les rituels sacrificiels musulmans illustrent l’ensemble des thèmes que la théorie anthropologique du sacrifice s’est attachée à mettre en évidence : “cuisines du sacrifice”, “dette” sacrificielle, fonctions thérapeutiques, etc.
Une première synthèse donc, illustrée d’exemples tous contemporains, qui nous apporte sur la pratique des sociétés musulmanes un éclairage unique.
Pierre Bonte, directeur de recherche au CNRS, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la parenté et l’organisation politique et religieuse des sociétés musulmanes, et co-éditeur du Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie (1991, PUF).
Anne-Marie Brisebarre, chargée de recherche au CNRS, s’intéresse aux rapports entre hommes et animaux ; elle a publié sur ce même thème La Fête du mouton. Un sacrifice musulman dans l’espace urbain (1998, CNRS ÉDITIONS).
Altan Gokalp, directeur de recherche au CNRS, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la religion populaire en Turquie, et vient de publier, avec Louis Bazin, Le Livre de Dede Korkut. Récit de la Geste oghuz (1998, Gallimard).