Ouvrages

Enfants, adolescents, éducation alimentaire

On ne joue pas avec la Nourriture

Publié le 07/06/2012
Collections : Les cahier s de l'OCHA
Éditeur : OCHA
Nombre de pages : 155

Les Cahiers de l’Ocha N° 16

« ON NE JOUE PAS AVEC LA NOURRITURE ! »

Enfance, divertissement, jeu et alimentation  : entre risques et plaisirs

Ouvrage collectif sous la direction de Gilles Brougère (professeur en sciences de l’éducation, Université Paris 13)  et Valérie-Inès de la Ville (professeur en sciences de gestion à l’IAE de Poitiers et directrice du Centre Européen des Produits de l’Enfant, Université de Poitiers).

Enfance, divertissement, jeu et alimentation: entre risques et plaisirs

 

L’interdit flotte souvent dans l’air dans les familles dès que les enfants se mettent à jouer avec la nourriture. Comme les chercheurs le constatent sur le terrain,  la table en France est considérée par la plupart  des parents comme la table de la loi, celle où doivent être transmises les règles. Pourtant l’alimentation et le jeu constituent pour l’enfant les premiers territoires d’exploration et d’affirmation de soi, des arènes où exprimer des désirs et exercer des choix, autrement dit  faire ses premiers pas sur le chemin de l’autonomie.  L’alimentation et le jeu sont indissociables car les enfants savent transformer en jeu toutes les nourritures. Cela commence avec les bébés à qui on fait accepter  une cuillerée pour maman et une autre pour papa, cela continue avec  les jeunes enfants qui  transforment en volcans leurs assiettes de purée et les pré-adolescents qui se permettent de faire de leurs  aliments des projectiles pour jeux de lancer et échanges de tirs à la cantine de l’école, signe qu’ils sont enfin devenus grands.

Dans une société  tendue vers la prévention du surpoids et de l’obésité, il n’est pas vraiment bien vu des parents et des professionnels de la santé de proposer aux enfants des aliments « rigolos » ou assortis de gadgets ou de jeux. Les enfants  sont en effet souvent pensés comme des sujets vulnérables face aux stratégies marchandes, des  «  idiots culturels » prêts,  pour peu qu’on s’adresse à eux de façon ludique,  à donner de façon quasi automatique leur adhésion sans le moindre discernement.

Dans quelle mesure les enfants sont-ils  des  victimes du marketing, de la pub et des médias ?  Par exemple, à quel âge perçoivent-ils une différence entre un programme de télévision et une publicité ?    Ces  produits qui se veulent « fun », comment les enfants les reçoivent-ils ?  Les propositions des fabricants sont-elles suivies, détournées, réinventées ? La carte du ludique est-elle toujours gagnante pour une marque ? Quel est le poids du contexte familial et de l’éducation informelle dans les préférences et les comportements alimentaires des enfants ?

Ce N° 16 des Cahiers de l’Ocha dirigé par Gilles Brougère et Valérie-Inès de la Ville aborde ces questions avec une approche pluridisciplinaire combinant connaissances théoriques, enquêtes de terrain et expérimentations. Les apports  de la psychologie du développement, des sciences de l’éducation et des sciences de gestion sont particulièrement utiles  pour mieux comprendre le rôle du jeu dans les apprentissages et les enjeux économiques et sociaux.  Cette publication s’adresse à un large public incluant parents, éducateurs, pouvoirs publics, professionnels de la nutrition et de la santé, de l’agro-alimentaire et de la restauration, agences de communication …

«

Le Cahier N°16 de l’OCHA présente quelques-uns des principaux résultats du projet LUDO-ALIMENT, sélectionné par l’Agence Nationale de la Recherche en 2007 dans le cadre du Programme National de Recherche sur l’Alimentation :

 

« La consommation enfantine d’aliments ludiques :

analyse des tensions entre plaisir, risque et éducation »

 

Ce projet de recherche a été réalisé sous la direction scientifique de Valérie-Inés de LA VILLE, Professeur des Universités en Sciences de Gestion à l’Institut d’Administration des Entreprises de l’Université de Poitiers et responsable au sein du laboratoire Centre de Recherche en Gestion (CEREGE EA 1722) de la thématique : Stratégies de marchés et cultures de consommation ».

L’équipe « Ludo-aliments » regroupait de nombreux laboratoires universitaires[1] qui ont travaillé en synergie avec des partenaires privés[2].

 

Focalisé sur un objet précis – le segment des produits alimentaires ludiques – ce projet visait à éclairer les enjeux du rapprochement qui s’opère entre deux sphères considérées comme des espaces propres de l’enfance : les activités ludiques et les plaisirs alimentaires. Cette association prend place dans un contexte de pratiques et de représentations où alimentation et jeu ne s’excluent plus, mais se combinent pour renforcer des stratégies commerciales et/ou pour renforcer l’impact de politiques d’éducation nutritionnelle. Ce projet a ainsi analysé la construction de ce « champ du ludo-alimentaire » dans la consommation enfantine, à la fois à partir de la production, par l’étude de la conception et de la communication du point de vue des professionnels, et à partir de la consommation, par l’étude de la réception de ces produits/communications et des pratiques des acteurs que sont les enfants et les adultes, sans oublier l’aménagement physique de l’espace commercial… Ce projet interdisciplinaire exploratoire a analysé comment les enfants de 4 à 12 ans eux-mêmes vivent leurs expériences de consommation d’aliments ludiques avec l’objectif de construire une perspective complète sur la consommation d’aliments ludiques du point de vue de l’enfant en :

  • étudiant les conceptions intuitives des enfants sur les aliments susceptibles d’orienter leurs pratiques de consommation et analyser leur façon de rendre compte de leurs diverses expériences alimentaires et de la signification qu’ils leur assignent ;
  • retraçant les modalités selon lesquelles le marketing opère une interpénétration des sphères de l’alimentation et du jeu, en analysant l’émergence du segment des aliments ludiques ;
  • repérant les modalités d’une éducation informelle (sur le lieu de vente, au foyer, dans la fratrie ou le groupe de pairs) orientant les compétences de consommation des enfants relatives aux produits alimentaires ;
  • repérant la façon dont les enfants jouent avec ou dans l’univers commercial, parfois indépendamment des techniques utilisées par les professionnels pour favoriser ce type d’activité ;
  • analysant les pratiques alimentaires des enfants et de leurs familles, le rapport au plaisir, au risque et à l’éducation et les dynamiques à travers lesquelles se construit l’autonomie accordée à l’enfant en matière d’alimentation.

Ce travail interdisciplinaire offre une perspective complète sur la consommation d’aliments ludiques du point de vue de l’enfant à partir d’un matériau empirique riche :

–    les conceptions intuitives des enfants à propos des aliments : 8 expérimentations cognitives avec 550 enfants de 5 à 12 ans,

–    les cultures alimentaires des enfants, les jeux avec la nourriture et les dynamiques familiales : ethnographie de 18 mois dans 24 familles ; entretiens avec des enfants, parents, autres adultes, entretiens collectifs, observations dans 2 écoles et 3 centres de loisirs,

–    la communication marketing : analyse de contenu de 800 publicités alimentaires diffusées en 2007 et 2008 en France et de 4500 publicités alimentaires publiées dans la presse entre 1945 et 2006 en Allemagne, France et Italie,

–    les modalités d’une éducation informelle : 170 observations autour du caddie sur le lieu de vente, 10 focus groups d’enfants de 5 à 12 ans, et analyse de 300 dessins d’enfants,

–    les discours et pratiques des professionnels du marketing : enjeux de la communication internationale d’un produit laitier frais, 30 interviews de designers, consultants, chef de produits, chef de marques, agence de communication et services études marketing.

En analysant  les modalités de la mise en scène des désirs et plaisirs de l’enfant en matière d’alimentation et de jeu par les rhétoriques commerciales, et en explorant la tension entre ces désirs ou plaisirs de l’enfant et les risques auxquels ce dernier se trouve inéluctablement confronté comme acteur de la société de consommation à qui s’adressent des discours et des pratiques professionnelles, ce projet interdisciplinaire a permis d’entrevoir la complexité des enjeux que comportent les aliments destinés à l’enfant :

–          enjeux nutritionnels et de développement, enjeux propres aux sociabilités enfantines,

–          enjeux culturels d’une transmission de valeurs et de symboles,

–          enjeux sociaux de mise en conformité et d’intégration dans une communauté sociale ou dans un groupe de pairs,

–          enjeux identitaires, de démarcation par rapport aux normes imposées par les adultes et d’affirmation de son appartenance générationnelle…

Cette recherche permet d’affirmer que les aliments ludiques mettent en exergue le fait que l’enfant est confronté à trois messages contradictoires à propos de l’alimentation :

–    un message issu des « cultures alimentaires familiales » visant à ancrer les habitudes alimentaires de l’enfant dans une culture spécifique,

–    un message « nutritionnel » promu par le PNNS et l’éducation nationale pour étayer une information nutritionnelle,

–    un message « hédonique » mettant en scène un plaisir sensoriel et une dimension ludique, porté par différentes techniques marketing.

L’ensemble de cette recherche a également permis de s’interroger sur les possibilités de recadrage de cette dialectique plaisir/risque des aliments adressés à l’enfant dans une perspective éducative ou prophylactique. En effet, depuis quelques années alimentation et jeu ne s’excluent plus, mais se combinent parfois pour renforcer l’impact de politiques d’éducation nutritionnelle toujours confrontées à la rémanence des inégalités sociales en matière d’accès aux produits eux-mêmes et aux informations nutritionnelles.

 

Les actes du colloque international « Alimentation, Cultures Enfantines et Education » qui a clôturé le projet en Avril 2010 sont disponibles sur :

http://uptv.univ-poitiers.fr/web/canal/61/theme/24/manif/262/index.html.

De nouvelles perspectives de recherche ont été clairement ouvertes par la richesse des débats qui ont eu lieu lors de ce colloque:

 

  • Il serait particulièrement intéressant d’explorer les modalités éducatives à mettre en œuvre pour parvenir à une véritable politique d’éducation alimentaire (et non pas simplement nutritionnelle) qui tiendrait compte des conceptions, préjugés, pratiques spontanées des enfants, notamment les plus jeunes. Il semble que ce qui est proposé par l’école, qui est de l’ordre du discours sur des catégories d’aliments (les bons les mauvais) leurs effets, soit un discours qui n’est pas adapté ni aux conceptions propres que les enfants ont des aliments, ni à leurs pratiques de sociabilité intégrant des produits alimentaires. L’approche « nutritionnelle » et « objectivante » ne semble pas convenir aux enfants car elle n’intègre ni les données psychologiques, ni sociologiques, ni même anthropologiques et culturelles, que notre étude a clairement mis en lumière comme constitutives du plaisir alimentaire de l’enfant.

 

  • En outre, le rôle complexe des marques et de leur discours dans le paysage alimentaire auquel les enfants sont confrontés mériterait d’être davantage exploré en particulier sur le versant des anxiétés qu’elles doivent contribuer à apaiser chez les parents, anxiétés qui sont en partie produites par des discours d’éducation nutritionnelle et de responsabilisation individuelle du consommateur dans le cadre des nouvelles règles d’information du consommateur qui se dessinent au niveau européen pour constituer le marché intérieur. Comment les enfants et les parents décryptent-ils les informations nutritionnelles présentes sur le packaging des produits et comment les relient-ils à la notion de régime alimentaire équilibré ?

 

  • La valorisation des activités de préparation culinaire et d’éducation à la cuisine et à la commensalité par différents types d’acteurs s’adressant à l’enfant et à ses parents (programmes TV jeunesse, éditeurs de contenus culturels pour les enfants, agences de publicité, industriels, éducation nationale, centres de loisirs, etc.) devraient également faire l’objet d’une investigation approfondie pour comprendre sur quels leviers et quelles représentations s’appuyer pour modifier les comportements alimentaires déjà acquis et réduire les risques pour la santé de l’enfant.

 


[1] Laboratoire Experice (Paris 13) sous la direction de Gilles Brougère ; Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe (Strasbourg 2) sous la direction de Pascal Hintermeyer ; Laboratoire CERMAHVA (Tours) sous la direction de Jean-Pierre Corbeau, Laboratoire LEAD (Bourgogne) sous la direction de Jean-Pierre Thibaut, ; Laboratoire CERTOP (Toulouse 2) sous la direction de Franck Cochoy ; Laboratoire CEREGE (Poitiers) sous la direction de Valérie-Inés de La Ville.

[2] Danone Research, l’Institut National de Consommation (INC) et les Fabricants de Biscuits et Gâteaux de France (membre d’ALLIANCE 7)

»